Les dangers de L’IA pour l’Afrique ?

Depuis le lancement officiel de ChatGPT par l’entreprise américaine OpenAI en novembre 2022 en version gratuite, l’application suscite une forte euphorie médiatique et reçoit globalement un accueil positif. En janvier 2023, ChatGPT a dépassé les 100 millions de comptes enregistrés, seulement deux mois après sa sortie, devenant ainsi l’application ayant connu la croissance la plus rapide à ce jour. Sa croissance a été beaucoup plus rapide que celle de TikTok, qui a pris neuf mois pour atteindre 100 millions d’utilisateurs, et celle d’Instagram, qui a pris deux ans et demi pour y parvenir. Selon de nombreux experts, ChatGPT représente une révolution technologique aussi puissante et disruptive que l’a été la création de l’ordinateur à son époque. Toutefois, depuis que ChatGPT est en accès libre et utilisé par des millions de personnes dans le monde pour écrire des rédactions, des lignes de code, des publicités ou simplement pour tester ses capacités, il suscite également des polémiques en plus de l’enthousiasme qu’il génère.

Interdictions et temporisation

Dans le milieu scolaire, certaines écoles publiques aux USA et en France avec science po ont dû interdire aux étudiants son utilisation. La crainte est légitime car il n’a pas fallu longtemps pour que quelques étudiants en panne d’inspiration donnent tout leur devoir à faire à ChatGPT. Récemment, l’Italie a également rejoint la liste des pays ayant interdit l’utilisation de ChatGPT dans les écoles et pour les moins de 18 ans. Dans le milieu institutionnel, la décision de la mairie de Montpellier a fait grand bruit dans les médias. En prenant une note à destination de son personnel administratif, la mairie lui interdit d’utiliser l’outil à des fins professionnelles. Le plus étonnant fut sans doute la lettre ouverte signée par plus de 1800 personnes, dont les célèbres Elon Musk, patron de Tesla, Steve Wozniak, cofondateur d’Apple, Andrew Yang, ex-candidat démocrate à la présidentielle américaine, ou encore deux récipiendaires du prix Turing, l’équivalent du prix Nobel dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA), réclamant une pause immédiate des projets autour de l’intelligence artificielle. Pour les auteurs de la lettre, ce serait un enjeu “existentiel” pour l’humanité. 

Au vu de tous cet enthousiasme teinté de crainte suscité dans les pays occidentaux par cette innovation, la question est de savoir si l’Afrique peut se permettre de rester en marge ou doit nécessairement participer pour en :

  1. Décoder le fonctionnement en se rapprochant des USA et de OpenAI;
  2. Anticiper les dangers pour le continent (prévenir le cadre juridique) ;
  3. Saisir les opportunités et les enjeux (Investissement et partenariat) ; 

Pour en comprendre les enjeux et les défis, il est nécessaire de poser la question de la manière la plus simplement possible au regard de la situation politique, sociale et culturel des pays africains. Comment l’intelligence artificielle peut-elle permettre le développement des sociétés africaines, si on entend par développement une amélioration de la situation socio-économique des populations ?

Situation énergétique de l’Afrique

Tout d’abord, il est important de noter que l’intelligence artificielle nécessite une grande puissance de calcul et donc d’énergie pour fonctionner efficacement. L’énergie en Afrique, sujet que l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a consacré la moitié de son rapport 2019, le World Energy Outlook 2019. Dans ce rapport, il met bien en lumière les défis auxquels l’Afrique est confrontée. En 2018, l’Afrique comptait 1,3 milliard d’habitants, soit 17% de la population mondiale mais sa consommation ne représentait que 6% de l’énergie mondiale (3% pour l’électricité). La consommation d’énergie par habitant dans la plupart des pays africains est très en dessous de la moyenne mondiale. Ceux-ci ne contribuaient qu’à 3,6 % des émissions mondiales de CO2. Pourtant non dépourvus de moyens ou de ressources pour produire de l’énergie, 600 millions d’habitants de l’Afrique sub-saharienne n’ont pas encore accès à l’électricité. Cela signifie donc qu’en l’absence de production énergétique viable et aussi dans le fait que les besoins des populations en énergie ne soient pas totalement satisfaits, il serait utopique de penser à installer ou rattraper les géants dans le domaine de l’IA en installant sur le continent des centres de calculs.

Dangers et opportunités

Cette euphorie planétaire autour du développement de l’intelligence artificielle pousse de nombreuses entreprises et gouvernements du monde entier à rechercher des moyens d’augmenter leur capacité de calcul en acquérant des supercalculateurs (ordinateurs) de plus en plus puissants et en construisant des centres de données massifs. Cela pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l’Afrique en raison de la demande croissante de minerais nécessaires à la production de composants électroniques, tels que le cobalt, le cuivre, le lithium et d’autres minéraux stratégiques. Les pays africains, qui possèdent une grande partie de ces ressources, risquent de subir une exploitation étrangère accrue, exacerbant ainsi leur instabilité politique et économique et mettant en danger la santé et l’environnement des populations locales.

Selon une étude récente du Forum économique mondial*, la demande de minéraux nécessaires à la production d’appareils électroniques a considérablement augmenté ces dernières années en raison de la croissance du marché de l’Internet des objets, des véhicules électriques et de l’intelligence artificielle. Selon une étude de la Banque mondiale, les projections indiquent que cette demande pourrait augmenter de plus de 450%* d’ici 2050, avec des implications significatives pour les économies africaines qui dépendent largement de l’extraction minière.

Politique et corruption

Ce n’est pas non plus un secret de polichinelle que l’extraction minière en Afrique est souvent associée à l’exploitation et à la corruption des élites africaines, avec des entreprises étrangères qui cherchent à exploiter les ressources minérales à moindre coût. Il convient également de souligner que l’explosion de la demande mondiale en ressources minières peut avoir des conséquences graves pour la stabilité politique et la lutte contre la corruption en Afrique. En effet, l’augmentation de l’activité minière peut attirer des acteurs non-étatiques, tels que des groupes armés, qui cherchent à s’emparer de ces ressources pour financer leurs activités violentes. De plus, la pression exercée par les entreprises étrangères pour obtenir des concessions minières peut créer un environnement propice à la corruption et à l’enrichissement illicite des élites locales, entraînant ainsi une détérioration des institutions et une augmentation de l’instabilité politique dans les pays concernés. 

En somme, l’explosion de la demande mondiale de ressources minières soulève des enjeux importants pour l’Afrique en matière de développement durable, de stabilité politique et de lutte contre la corruption. 

Des entreprises chinoises, européennes et américaines ont massivement investi dans l’exploitation minière en Afrique, souvent au détriment des populations locales et de leur environnement. En 2019, Apple, Google, Microsoft, Dell et Tesla ont été poursuivis en action collective fédérale pour avoir utilisé du cobalt issu du travail d’enfants en République démocratique du Congo. Les entreprises chinoises installées dans le pays ont également été épinglées par un rapport de l’Inspection Générale des Finances, qui a vivement recommandé de revoir les contrats signés avec l’ancien régime.

Le cas du cobalt est particulièrement préoccupant, car ce minerai est essentiel à la production de batteries utilisées dans les appareils électroniques, les véhicules électriques et les énergies renouvelables. La République démocratique du Congo, qui produit plus de 60% de la production mondiale de cobalt, n’arrive toujours pas à offrir à ses citoyens les services sociaux de base, malgré la richesse de son sous-sol.

Danger dans le secteur de l’éducation 

Dans le domaine de l’éducation, il est important de noter que l’intelligence artificielle pourrait présenter des risques pour les sociétés africaines, notamment en ce qui concerne l’éveil et la motivation des populations à travers l’apprentissage. Les personnes qui n’ont pas eu accès à une éducation de qualité pourraient être tentées de se reposer sur les facilités que l’IA offre, ce qui pourrait entraîner une certaine forme d’affaiblissement des capacités cognitives et intellectuelles des individus et des communautés dans leur ensemble. Cette situation est déjà visible dans certains domaines de divertissement en ligne, tels que Facebook, Instagram et TikTok, où l’on constate une création de contenus de faible qualité, souvent à connotation sexuelle.

Il est donc crucial que les gouvernements et les établissements éducatifs en Afrique intègrent judicieusement les technologies de l’IA dans l’éducation, en veillant à ce que les populations soient encouragées à développer leurs compétences et leur curiosité plutôt que de se reposer sur l’automatisation. Des initiatives visant à promouvoir l’éducation numérique responsable et la création de contenu de qualité peuvent contribuer à atténuer les risques liés à l’utilisation de l’IA dans le domaine de l’éducation.

Impact écologique

L’impact écologique est un autre problème lié à l’utilisation de ChatGPT et des IA génératives, car le modèle nécessite des quantités massives de données pour être entraîné, ce qui entraîne des coûts énergétiques importants. Certaines études affirment que la quantité d’énergie nécessaire au pré-entrainement du modèle GPT-3, qui est pourtant inférieure à GPT-3.5 utilisé par ChatGPT, est déjà considérable. Cela représente 552.1 tonnes de CO2 rien que pour la phase d’entraînement de l’algorithme. 

Pour avoir une idée de ce que cela représente 1 tonne de CO2 équivaut à 15 ans de consommation électrique pour un ordinateur fixe. 1 tCO2éq. = 4 ans½ de consommation électrique moyenne d’un ménage congolais. Les émissions de gaz à effet de serre par habitant en Afrique subsaharienne étaient d’environ 0,8 tonne de CO2 en 2019, soit nettement moins que la moyenne mondiale qui était d’environ 4,8 tonnes de CO2 par habitant la même année*.

Opportunité pour l’Afrique

L’explosion de la demande de minerais liée au développement de l’IA offre à l’Afrique des opportunités pour accroître ses revenus et créer des emplois, ainsi que la possibilité de se spécialiser dans la fabrication de composants nécessaires à l’IA. Cependant, pour en tirer profit, il est crucial de mettre en place des mesures pour éviter l’exploitation abusive et le pillage des ressources. Les gouvernements africains doivent renforcer les législations nationales et internationales pour garantir le respect des droits humains et environnementaux par les sociétés minières, impliquer les populations locales dans les processus de décision et de contrôle, accroître la transparence et la reddition de comptes des entreprises minières, promouvoir le développement économique local, et encourager la coopération régionale.

En somme, le développement de l’IA offre des opportunités pour l’Afrique, mais la mise en place de mesures de régulation est essentielle pour éviter les risques et les abus. Les gouvernements et les acteurs économiques doivent travailler ensemble pour maximiser les avantages de l’IA tout en minimisant ses effets négatifs.