La crise sanitaire a révélé l’impérieuse nécessité d’un accès démocratique et équitable à une connectivité de haut débit abordable et sécurisée. Pour cela, gouvernements, secteur privé et sociétés civiles doivent collaborer. Qu’en est il de la fracture numérique au Congo ? Quelles solutions pour faire entrer notre société dans l’ère du numérique ?
Le numérique peut se révéler un formidable levier de développement en Afrique et le Congo le s’exclut pas et ce tout particulièrement dans des domaines comme l’agriculture, le tourisme, les services aux usagers et aux entreprises. Les technologies associées au numérique sont en effet susceptibles de contribuer à l’essor d’une économie plus diversifiée, compétitive, inclusive et durable. Mais le numérique comporte aussi des risques. Outre les problématiques liées aux données, ces technologies peuvent générer ou creuser des inégalités sociales et économiques.
Il existe d’ores et déjà des disparités d’accès et d’usages des technologies et services permis par le numérique au Congo. Alors que la « 4G » est semble disponible dans les grandes villes du pays, de nombreuses zones blanches persistent dans des régions et départements. Par ailleurs, les coûts associés au numérique ainsi que les capacités et les motivations de chaque usager à utiliser ces technologies occasionnent des inégalités au détriment de population déjà vulnérables, notamment ceux vivants dans les zones rurales.
Caractériser et analyser la fracture numérique
Qu’est-ce que la fracture numérique ?
La fracture numérique n’est pas un concept univoque. De manière générale, la fracture numérique est le fossé entre ceux qui ont accès à l’Internet et ceux qui n’y ont pas accès. Or, la fracture numérique est multiforme et comprend de nombreuses facettes telles que l’accès, le caractère abordable, la qualité et la pertinence. Comme l’a écrit Michael Kende, « la fracture numérique n’est pas binaire ». Les disparités en matière d’accès à Internet sont notamment dues aux facteurs suivants :
- La disponibilité : Existe-t-il un accès à l’Internet dans votre région ? Existe-t-il un point de connexion à Internet à proximité ? Si oui, ceci n’est que la première étape.
- L’accessibilité financière : Cet accès est-il abordable ? Quel est le coût par rapport à d’autres marchandises essentielles ? Quel pourcentage de votre revenu devez-vous consacrer à ce service ?
- La qualité du service : Les vitesses de téléchargement en amont et en aval sont-elles suffisantes pour les besoins locaux des utilisateurs d’Internet ?
- La pertinence : La communauté connectée dispose-t-elle des compétences et des technologies nécessaires ? La communauté comprend-elle et s’intéresse-t-elle à la pertinence de l’accès à Internet ? Existe-t-il des applications mobiles disponibles localement ? Existe-t-il un contenu dans la langue locale et pertinent pour les personnes de la communauté ?
- Autres facteurs de fracture : Parmi les autres domaines susceptibles de créer des inégalités numériques citons la sécurité, l’interconnectivité, la culture numérique et l’accès aux équipements.
Ces écarts en matière de disponibilité, d’accessibilité financière, d’intérêt et de culture numérique se retrouvent aussi bien au niveau international qu’au niveau local.
Les pays qui affichent un taux de connectivité moyen élevé présentent néanmoins des inégalités flagrantes en zones rurales, reculées et même urbaines. Ces écarts vont souvent de pair avec d’autres disparités telles que les inégalités en matière de revenus et de genre.
La fracture numérique aggrave d’autres fractures
Une question peut-être plus urgente que celle de savoir comment mesurer la fracture numérique est celle de savoir comment le manque d’accès peut aggraver d’autres fractures et inégalités. Les personnes privées de connectivité sont souvent celles dont les revenus sont les plus faibles. Un tel manque d’accès à Internet constitue un obstacle supplémentaire aux opportunités économiques et à la mobilité. De nombreuses autres inégalités socio-économiques sont à l’origine de la fracture numérique et y contribuent.
Il ne s’agit pas d’une fracture unique ou d’une situation bien définie, mais quelle que soit la manière dont on la considère, l’exclusion numérique a de multiples conséquences négatives. En voici quelques-unes :
- L’accès aux soins de santé et ses répercussions : L’accès à Internet est une question importante de santé publique. Le manque d’accès se traduit par l’exclusion d’informations et de ressources vitales en matière de santé. Les experts médicaux insistent désormais sur le fait que l’accès à l’Internet haut débit « doit être reconnu comme un facteur social déterminant pour la santé« .
- Les perspectives économiques : Pour les employés et les chefs d’entreprise, ne pas disposer d’un haut débit de qualité se traduit par une réduction des perspectives économiques et de la compétitivité dans l’économie numérique.
- Les perspectives pédagogiques : Le manque d’accès à Internet pour les enfants en âge scolaire signifie qu’ils sont privés des avantages éducatifs d’Internet. Ce fossé perpétue l’inégalité des résultats d’apprentissage et s’est avéré particulièrement difficile pendant la pandémie de COVID-19.
La fracture numérique perpétue ces inégalités et bien d’autres encore. Il est donc d’autant plus important de combler ce fossé.
Quelles solutions pour faire entrer notre société dans l’ère du numérique ?
Un quadruple défi
Le Congo et d’autres pays d’Afrique centrale et de l’ouest sont confrontés à un quadruple défi à relever : une faible couverture et qualité du réseau ; des coûts d’exploitation élevés ; des barrières non tarifaires qui élèvent les risques d’exploitation et renchérissent les investissements et une faible ou le défaut de concurrence.
Fournir des services financiers via des téléphones portables se révèle difficile lorsque moins de 40 % de la population possèdent un cellulaire. Cette disparité entre « possédants » et « démunis » affecte de façon disproportionnée les populations rurales, les femmes et les groupes vulnérables de la région et s’accompagne également de différences nationales significatives.
Pour 1 Go de données mobiles à haut débit, les Congolais doivent consacrer plus de 20 % de leur revenu moyen, contre 0,5 % pour les Égyptiens.
Au Sénégal, seules 26 % des petites entreprises utilisent des smartphones, contre 65 % au Brésil. Lors d’une pandémie, l’accès à un smartphone connecte les gens, mais se révèle aussi un outil indispensable aux entreprises et aux économies.
Politiques de réglementation
Un rapport conjoint de la Banque mondiale et de la Commission du haut débit des Nations Unies estime le coût de la réduction de la fracture numérique en Afrique d’ici 2030 à 100 milliards de dollars.
Il nous faut donc augmenter les investissements et attirer les opérateurs et partenaires stratégiques nécessaires en mobilisant des capitaux privés, ainsi qu’aborder les risques du capital et créer des alliances stratégiques entre gouvernements et opérateurs privés.
Il convient également de soutenir la conception et la mise en œuvre de politiques et réglementations pour réduire les risques et encourager les investissements privés dans les infrastructures numériques. Ces deux leviers permettront de résoudre les problèmes d’accès aux services et rendre la connectivité efficace.
À mesure que l’infrastructure numérique s’améliore, il est nécessaire que les secteurs public et privé puissent promouvoir et inciter l’adoption de l’Internet en développant des systèmes et des applications qui permettront aux populations d’effectuer des transactions en ligne, comme répondre à des appels d’offres du gouvernement, effectuer des transactions bancaires ou faire des demandes de carte de crédit.
Les réseaux communautaires une solution complémentaire pour réduire la fracture numérique
La fracture numérique n’étant pas binaire, il n’existe pas de solution unique pour y remédier. Pendant des décennies, grâce aux modèles classiques, les gouvernements et le secteur privé ont réussi à fournir un accès à Internet à un large public.
Cependant, le reste de la population non connectée est la plus difficile à connecter à l’Internet. Elle vit souvent dans des zones à faible densité ou à faible revenu, où il n’est pas aussi rentable pour les grandes entreprises de fournir des services et de développer des infrastructures. Il en résulte un ralentissement de la croissance du nombre de connexions à l’Internet. Il est nécessaire de trouver des solutions innovantes pour améliorer la situation.
Les réseaux communautaires permettent de relever les défis posés par les nombreuses fractures numériques, en offrant un accès abordable à l’Internet à ceux qui en ont le plus besoin. Au-delà de mettre l’Internet à la portée de tous et à un prix abordable, les réseaux communautaires contribuent à réduire certaines des autres fractures mentionnées ci-dessus.
Apprenez-en davantage sur les réseaux communautaires et sur la manière dont les communautés du monde entier réduisent la fracture numérique.
Les opportunités créées par la numérisation
Deuxièmement, nous devons mettre en place des infrastructures numériques de dimension et de qualité adéquates. De récentes recherches estiment à 500 millions le nombre de personnes en Afrique n’ayant pas de pièce d’identité officielle, ce qui leur rend difficile l’accès aux services clés et ne leur permet pas de bénéficier des opportunités créées par la numérisation.
Les systèmes d’identification au Congo et dans certains pays d’Afrique occidentale et centrale ne sont encore ni inclusifs, ni fiables. Les approches couramment utilisées, manuelles et sur papier pour identifier des populations rendent difficiles, tant pour les gouvernements que pour le secteur privé la réduction des fraudes et du gaspillage.
Les identifications numériques alignées sur les dix principes d’identification pour le développement durable offrent la possibilité d’étendre les réseaux et de transformer les prestations de soins de santé, d’accès à l’éducation ainsi qu’aux services financiers et a d’autres services clés, en particulier pour les populations rurales, les femmes et les groupes les plus vulnérables.
Heureusement de plus en plus de pays africains sont bien avancés dans ces processus, et une grande majorité d’entre eux le font déjà grâce aux appuis technique et financier de la Banque mondiale et à son programme d’Identification pour le développement (ID4D).
Fiabilité des données
Les identifiants numériques sont l’un des trois composants des infrastructures numériques, avec les paiements numériques et les plateformes de base de données fiables.
Une infrastructure numérique permet tant aux particuliers qu’aux entreprises de prouver et vérifier leur identité en toute sécurité, d’effectuer et recevoir des paiements en toute facilité, de partager et vérifier les données personnelles telles que les antécédents de crédit et les qualifications académiques.
Combinées, ces fonctions génèrent des avantages sociaux et économiques importants et accélèrent la transition vers les économies, les sociétés et les gouvernements numériques.
Pour la réussite de ce programme de transformation numérique, nous devrons développer une meilleure collaboration avec l’ensemble des institutions nationales afin de permettre d’une part aux populations africaines d’avoir plus de contrôle sur leurs données personnelles et d’autre part faciliter aux gouvernements que leurs programmes et services de transferts monétaires atteignent les bénéficiaires tout en réduisant la fraude et l’évasion fiscale.
Combinées, ces fonctions génèrent des avantages sociaux et économiques importants et accélèrent la transition vers les économies, les sociétés et les gouvernements numériques.
Pour la réussite de ce programme de transformation numérique, nous devrons développer une meilleure collaboration avec l’ensemble des institutions nationales afin de permettre d’une part aux populations africaines d’avoir plus de contrôle sur leurs données personnelles et d’autre part faciliter aux gouvernements que leurs programmes et services de transferts monétaires atteignent les bénéficiaires tout en réduisant la fraude et l’évasion fiscale.
Ceci comprendra également l’établissement de politiques d’enregistrement des entreprises et de taxation numérique, ainsi que des paiements numériques transfrontaliers rapides, peu coûteux et fiables pour débloquer commerces numérique et électronique.
Rien de tout cela ne peut survenir du jour au lendemain. Une transformation numérique en Afrique nécessitera un leadership et une collaboration accrus de la part des gouvernements, du secteur privé et de la société civile. Nous travaillons déjà en étroite collaboration avec des partenaires sous-régionaux, continentaux et internationaux.
Le Covid-19 offre une opportunité unique d’inverser les inégalités et de promouvoir une croissance économique forte. L’accélération de la transformation numérique de l’Afrique peut faire partie de cette réalité. Elle nécessitera de combler la fracture numérique, de créer des infrastructures numériques et de réaliser un marché numérique unique. Nous devons agir maintenant.
Signalons que pour réduire la fracture numérique, le Congo dispose déjà d’une stratégie nationale de développement de l’économie numérique, du cadre attractif aux investissements étrangers. On note également la construction des infrastructures des télécommunications en vue du déploiement cohérent et équilibré des contenus et réseaux via la vision Congo digital 2025 etc. En 2021, le Congo avait sollicité l’accompagnement de la Chine pour réduire la fracture numérique.
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