Congo : surchargée de dette, la compagnie ECAir peut-elle redécoller ?


Equatorial Congo Airlines (ECair), qui avait déposé le bilan en 2016 en raison de son surendettement, a signé un mémorandum d’entente avec la société sud-africaine Allegiance Capital afin de relancer ses activités. Qui est ce partenaire ? D’où viendront les capitaux ? L’appui de l’État congolais suffira-t-il ?


Le 7 janvier 2022, Jean-Marc Thystère-Tchicaya, le ministre congolais des Transports, et Denis Christel Sassou Nguesso, le ministre de la Coopération internationale et de la Promotion du partenariat public-privé, ont signé à Brazzaville un mémorandum d’entente avec la société sud-africaine Allegiance Capital pour permettre à la compagnie aérienne nationale, Equatorial Congo Airlines (ECAir), de refaire surface.

Depuis 2016, le gouvernement avait exprimé à plusieurs reprises sa volonté de relancer les activités de la compagnie-reine du ciel congolais, sans pour autant présenter de plan concret.

À Brazzaville, on espère que l’accord avec Allegiance Capital peut changer la donne. « Le partenaire que nous avons identifié apportera un investissement initial d’environ 15 milliards de F CFA [23 millions d’euros]. Cet apport en numéraire va permettre de réaliser des investissements techniques, de régler la question de la dette sociale et d’assurer les vols nationaux, pour commencer », est-il écrit sur le compte Twitter officiel de Denis Christel Sassou Nguesso.

En 2016, l’État congolais détenait 99,99% du capital d’ECAir. La nouvelle répartition du capital n’a pas été divulguée.

Ce partenariat marque une nouvelle étape dans les relations entre Brazzaville et Allegiance Capital, déjà tous deux partenaires dans le projet de relance de la Compagnie nouvel air Congo (NAC). La NAC, qui a suspendu ses activités en 2020, est appelée à renaître de ses cendres, comme l’a indiqué, dans un récent tweet, le ministre des Transports du Congo, qui s’est entretenu, le 14 décembre dernier, avec le directeur général de la compagnie, Jean Fulbert Rodrigue Nombo.

Extrait de l'acte constitutif de Nouvelle Air Congo S.A.Eric Mourtitzen © DR
Extrait de l’acte constitutif de Nouvelle Air Congo S.A.Eric Mourtitzen © DR

Un partenaire peu connu venu d’Afrique du Sud

Un grand nombre d’incertitudes demeurent quant aux modalités de la relance de ECAir. Peu d’informations sont en effet disponibles sur Allegiance Capital et son directeur général, Eric Kenneth Mouritzen, qui s’est rendu à Brazzaville au début de janvier.

Le dirigeant sud-africain apparaît sur diverses bases de données, dans les années 2000 et au début des années 2010, comme manager de la compagnie de vols charter Allegiance Air (PTY) Ltd., installée à l’aéroport international privé de Lanseria, au nord-ouest de Johannesburg. Allegiance Air proposait divers appareils (dont des avions de transport régional de Embraer et de British Aerospace) en leasing ainsi que des vols charters couvrant Brazzaville, Malabo et Libreville, avec au moins une antenne locale au Gabon (Allegiance Airways Gabon).

Inactif depuis de nombreuses années, le site internet d’Allegiance Air mettait en avant « l’expertise combinée » de la compagnie, ainsi qu’une offre assurant « tous les services d’aviation » dont le public « a besoin », parmi lesquels « l’affrètement d’avions sur tous types d’appareils », « la vente et le leasing d’aéronefs » et des « affrètements VIP ». Au début des années 2010, Allegiance Air avait été évoqué un temps comme un potentiel partenaire de l’ex-Air Congo.

Incertitudes sur la situation financière d’ECAir

Si l’apport en numéraire d’Allegiance Air devrait, selon les autorités congolaises, permettre de « régler la dette sociale » d’ECAir, plusieurs questions subsistent s’agissant de la santé financière de ce dernier et de la disponibilité des capitaux nécessaires à sa relance et à ses opérations futures.

Il y a encore quelques mois, et jusqu’en août 2021, plusieurs ex-employés d’ECAir avaient organisé une série de manifestations devant le siège de la compagnie, à Brazzaville. Ils réclamaient cinq ans d’arriérés de salaires et dénonçaient le silence des autorités face à cette situation.

Créée en 2011, la compagnie aérienne, qui se voulait la vitrine du Congo à l’étranger, a connu une série de déboires financiers. Ainsi, en octobre 2016, l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) l’a contrainte à cesser ses activités en raison d’arriérés de paiements qu’elle lui faisait encourir. Des frais qui « n’auraient pas dû être trop importants, puisqu’il ne s’agit que d’une petite partie des coûts totaux d’une compagnie aérienne », s’était étonné, en 2018, Tomas Chlumecky, associé de la société Avaero Capital Partners, sise à Lagos et spécialisée dans la structuration de deals dans le secteur aérien.

À la fin de 2015, un an avant son dépôt de bilan, ECAir affichait une dette vis-à-vis de ses fournisseurs de près de 14 milliards de F CFA. Ses dettes financières atteignaient, elles, 124 milliards de F CFA, dont 39 milliards sous forme de « crédit-bail et contrats assimilés ». Son capital social avait bondi de 100 millions à 65 milliards de F CFA entre 2013 et 2014, non en raison d’une injection de capitaux frais, mais à la suite de la « conversion de la créance de l’actionnaire majoritaire » – en l’occurrence, l’État congolais.

En France, où ECAir affirmait ne disposer que « d’un établissement secondaire », les procédures administratives engagées ont connu moult rebondissements et traînent depuis 2017. Une première décision du tribunal du commerce de Bobigny prononçant la liquidation judiciaire de la succursale avait été infirmée en octobre 2018 par la cour d’appel de Paris. Cette dernière avait constaté la cessation des paiements, mais avait annulé la liquidation judiciaire, lui préférant un redressement judiciaire.

En avril 2020, le tribunal de commerce de Bobigny avait constaté la fin de la procédure de redressement judiciaire. Pourtant, cette dernière a été à nouveau ouverte en novembre dernier, en raison d’une nouvelle cessation de paiements constatée en janvier 2021…

Le coût des subventions publiques

L’état réel des actifs d’ECAir reste tout aussi incertain. Dans une brochure diffusée en 2016 dans le cadre d’une procédure d’émission de 60 milliards de F CFA sous forme d’obligations d’une maturité de cinq années au taux de 6% brut par an, ECAir indiquait être « propriétaire » de sept appareils (dont quatre Boeing 737 et deux Boeing 757, tous gérés par le suisse PrivatAir) ainsi que d’un petit bi-turbopropulseurs Beechcraft King Air. L’émission de dette avait été abandonnée en raison d’un manque d’intérêt des investisseurs.

Le choix d’acheter des appareils plutôt que de les louer – option privilégiée par plusieurs opérateurs africains – représente une lourde charge pour toute compagnie nationale, mais constitue une base d’actifs réels. En 2017, la presse suisse, couvrant les activités de PrivatAir, s’était émue de l’opacité des relations entre les deux partenaires ainsi que du montant des fonds publics injectés dans les opérations d’ECAir. Au début de 2018, Jeune Afrique notait que l’État congolais avait injecté 500 millions d’euros dans la compagnie depuis sa création en 2011.

Comment Brazzaville pourra-t-il financer la reprise des activités et les coûts d’opération d’ECAir ? Les dépenses et l’endettement de l’État congolais sont en effet suivis de très près par le FMI, qui a fortement insisté pour que le Congo-Brazzaville renégocie sa dette envers plusieurs traders pétroliers. Le Fonds en fait une condition sine qua non avant d’avaliser un financement triennal de 450 millions de dollars (le dossier se trouve actuellement sur le bureau de son conseil d’administration).

L’institution multilatérale acceptera-t-elle une relance d’ECAir subventionnée sur capitaux publics pendant de nombreuses années en attendant que la compagnie atteigne l’équilibre financier ? À titre de comparaison, RwandAir, le transporteur de Kigali, salué et reconnu par la profession, a reçu en 2019 pas moins de 143 millions de dollars de subventions de l’État.

Un périmètre d’activités réduit

Quoi qu’il en soit, ECAir devrait, pour se relancer, d’abord se concentrer sur un périmètre d’activités réduit. ECAir assurait jusqu’à 136 vols par semaine au départ de Brazzaville, avec des liaisons vers Pointe-Noire et Ollombo, à l’intérieur du pays, ainsi que vers Douala, Kinshasa et Libreville dans la zone Cemac, de même que vers Cotonou, Bamako et Dakar, en Afrique de l’Ouest.

Le transporteur congolais envisage, dans un premier temps, de n’assurer que des liaisons nationales, et de ne desservir la sous-région et l’international que plus tard. Selon nos informations, les premiers vols relieront Brazzaville à Pointe-Noire, une liaison sur laquelle des concurrents tels qu’Africa Airlines, Canadian Airways Congo et Trans Air Congo sont déjà très présents.

Les vols seront assurés par le Boeing 737 que ECAir avait envoyé à Addis-Abeba pour des travaux de maintenance et qui a été renvoyé à Brazzaville depuis presque un an. Pour accompagner ce nouvel élan, la compagnie s’attèle à organiser le retour d’une partie de la flotte restante, clouée à Johannesburg.

NB : Cet article, est un article de Jeune Afrique.